Mercredi (14/09/05)
Dream, always dream....
J'entre dans la petite salle à la lumière douce et paisible. Le serveur me salue avec un sourire chaleureux et s'empresse de demander des nouvelles de ma santé et de mon quotidien. Je lui réponds brèvement, impatiente de commencer à jouer.
Je m'assied sur un siège au fond de la pièce, des tables sont disposées à intervalles réguliers, nappées d'un beau tissu rouge bordeau, les chaises sont faites d'un bois noir profond, l'ensemble exhale une impression de calme et de solennité.
Mes doigts effleurent le goban posé sur la table, je suis les lignes tracées dessus avec affection, comme on ferait avec un ami que l'on retrouve après une trop longue absence. Bientôt, un adversaire vient me défier, il prend place en face de moi et me fixe de ses yeux fins et intelligents. Nous faisons nigiri, il prend finalement les noirs et moi les blancs.
Commence alors une longue partie, réfléchie, aux chemins étroits et sinueux, il m'arrive parfois de réfléchir plus d'un quart d'heure pour poser une pierre. Les formes s'enchaînent sur le goban, se croisent, se rencontrent, s'afrontent les unes les autres. Au cent cinquantième coup, le gagnant n'est toujours pas déterminé, ce qui s'annonçait comme étant une simple bataille de moyo est devenu un immense combat.
Nous respirons à peine, le regard rivé sur le plateau, tous les sens en alertes. Je peux tuer son immense groupe du bord droit l'espoir m'envahit, je pose la pierre avec précaution. Mon ennemi se fige soudainement. Il se frotte le menton et commence à lire les séquences. Les minutes s'égrènent dans un silence parfait, dérangé par le bruit régulier des parties alentours. Finalement, il se saisit d'un noir et le place en tsuke.
Je ne m'attendais pas à cela. C'est à mon tour d'être stupéfaite et de tenter de deviner la suite. Le meilleur que je puisse entrevoir pour moi est un kô, un dilemme entre vie et mort, un nouveau duel dont le gagnant semble incertain.
Les menaces et leurs réponses se succèdent, les muscles tendus, l'air concentré à l'extrème. Mais vite, je suis à court, je ne trouve plus rien qui puisse lui faire peur, aucune pression à exercer sur ses groupes. Je perds le kô. Le poing serré je baisse la tête, une voix en moi me murmure de laisser tomber, de concéder la victoire à mon adversaire. J'admire une dernière fois notre partie, la chaîne noire est si solide, aucune faille... Mais... Un sourire naît sur mes lèvres, j'aperçois enfin ce que je cherche depuis le début.
La pierre dans ma main est froide et lisse, je la caresse du bout des doigts avec un sentiment d'exultation. Je la dépose enfin sur le goban. L'homme en face de moi fronce les sourcils, il demeure à réfléchir durant de longues minutes puis joue à son tour. Je réponds aussitôt sans hésiter, mon ennemi marque une nouvelle pause, ses yeux parcourent le chemin tracé par nos coups successifs en tous sens, comme cherchant une échappatoire, il semble dépassé par les évènements, il tremble de nervosité.
Brusquement, son air se radoucit et, avec un sourire un peu triste, il pose deux pierres sur le plateau de bois. Il abandonne. Nous nous remercions sobrement pour cette partie mémorable puis je me lève de ma chaise, salue le serveur d'un signe de la main et quitte le café.
Les rues de Séoul sont bondées à cette heure si de la journée, le soleil se couche déjà. Je m'empresse de rentrer, chez moi, les copies de mes élèvent attendent.
Ecrit par parasitemort, à 14:10 dans la rubrique "Rêve éveillé, vie en Corée...".
Vendredi (09/09/05)
Je rêve encore, car la journée sera longue.
Seoul se réveille doucement. Il est cinq heures du matin. Je suis déjà debout, je contemple la ville par ma fenêtre. De rares voitures circulent, faisant entendre le bruit ronflant de leur moteur, quelques passants marchent tranquilement sur les trottoirs étroits. Ce sont des fétards pour la plupart qui retourne enfin chez eux. Je ne peux m'enmpécher de les envier un peu, avec leur air détendu et heureux.
Je demeure là, sans rien dire, à admirer les rues qui se remplissent peu à peu, ici, les journées commencent tôt, le soleil se lève à peine, mais déjà, beaucoup sont sortis et partent travailler. Il est six heures maintenant, c'est l'aurore. Le ciel s'embrase brusquement et malgré la pollution grise et terne, on voit au loin l'astre flamboyant du matin qui se lève. C'est chaque fois le même spectacle, et chaque fois je me laisse surpendre par sa beauté, c'est comme si j'ouvrais enfin les yeux et que la lumière apparaissait. La ville tout à l'heure si triste et maussade, resplendit maintenant.
Je quitte mon poste d'observation et pars prendre une douche, l'eau ruisselle sur mon corps nu, je repense à la veille, son départ étrange que je n'arrive plus à comprendre. Pourquoi est-il parti pour aller dans ce pays d'où je viens ? Pourquoi s'est-t-il enfui de ce paradis ? Je n'ai pas envie de pleurer son absence, je n'en ai pas le temps ni la force. Nous ne nous reverrons jamais, je garderai malgré tout son souvenir auprés de moi.
Je sors, il est l'heure d'aller travailler. J'ouvre la porte de ce qui aurait pu être notre appartement et je m'en vais. Mes élèves m'attendent.
Ecrit par parasitemort, à 12:13 dans la rubrique "Rêve éveillé, vie en Corée..." - Mise à jour : Vendredi 9 Septembre 2005, 19:56.
Jeudi (08/09/05)
Suite de ce rêve éveillé...
...
Une odeur douce et ennivrante exale des cerisiers, les fleurs blanches commencent à tomber, voletant tout autour de moi. Elles ne sont pas encore fanées mais le vent les saisit avant l'heure pour le plaisir de nous les offrir encore fraiches et parfumées.
Je lis une lettre de mes parents, ils sont si loin, je souris en apprenant les nouvelles de mes frères et soeurs, je découvre avec plaisir le mariage de l'un d'entre eux, même si un soupçon de tristesse enserre mon coeur. Je ne serai pas là pour le féliciter.
Une voix me hèle. La mémoire me revient, je sais de nouveau pourquoi je suis ici, à attendre. Il se tient devant moi, l'air paisible, me fixant de ses yeux gracieusement bridés. Sa présence calme mes angoisses, je me sens rassurée auprès de lui, rien n'arrivera, ces mauvais rêves que je fais souvent ne se réaliserons pas. Il sourit doucement, cela me donne envie de sourire à mon tour, mais son regard s'assombrit et il baisse la tête. Avec un geste hésitant il tend sa main vers moi :
"Au revoir..."
J'ai si mal que je n'arrive pas à répondre. Alors ce moment qui devait arriver depuis des mois était enfin là. Son départ était prévu, nous en avions parlé, mais je me rend compte pour la première fois de la signification de ces mots. Il s'en va, ce n'est pas un au revoir, c'est un adieu, quand sa silhouette s'effacera, ce sera pour toujours. Il s'en va en occident, dans ces pays que j'ai tant voulu fuir. Je n'arrive pas à parler, à lui répondre, mes yeux demeurent dans le vague. Déçu par mon silence, il fait volte face et s'éloigne.
Il ne se retourne pas, ne fait pas demi tour.
Il est parti.
Je tombe à genoux dans l'herbe verte et fraîche, son contact humide me ramène à la réalité. Je relève la tête et tendant la main je crie pour l'arrêter. Mais ma voix est si faible, il est déjà si loin... Il n'entend pas ce dernier appel, ces derniers mots, ce dernier regard qui l'aime tant.
Une brise légère se remet à souffler jouant avec mes cheveux, un oiseau se pose près de moi et commence à chanter une mélodie joyeuse et entraînante.
Je ne savais pas qu'en Corée, le monde pouvait aussi faire mal.
Ecrit par parasitemort, à 21:36 dans la rubrique "Rêve éveillé, vie en Corée..." - Mise à jour : Jeudi 15 Septembre 2005, 21:28.
Mercredi (07/09/05)
Je respire, compte jusqu'à trois, et finalement tout va mieux...
Le paradis est loin, très loin même, puisqu'il n'existe pas, mais il faut bien un rêve, un espoir pour continuer à avancer, non ?
Alors je rêve que je suis une autre, je parle couramment le Coréen et je vis là bas, en Asie. Tout est si beau, Kim-Jong-Il est mort et à présent il n'y a plus qu'un seul état. Le soleil se couche sur les cerisiers en fleurs comme un printemps japonais. L'air est doux et frais, il ne fait ni chaud ni froid, personne ne pleure, tous sourient sans jamais prendre la peine d'éclater de rire et de déranger le silence alentour.
Je dors, allongée dans un lit aux draps blancs et à l'odeur ennivrante de fleurs. Dans la pièce adjacente, on entend le bruit sec et délicat des pierres posées sur un goban, entrecoupés de longs soupirs, d'immenses moments de reflexion où les adversaires réunissent tout leur esprit à chercher la faille dans le terrain adverse.
Dans quelques heures, je partirai à l'école enseigner le français à de jeunes asiatiques. je vis ici, je ne reviendrai jamais chez moi, là où ma famille habite à quelques milliers de kilomètres...
Mais aujourd'hui je suis encore ici, ils respirent près de moi, pourtant... je suis déjà si loin...
Ecrit par parasitemort, à 18:03 dans la rubrique "Rêve éveillé, vie en Corée..." - Mise à jour : Vendredi 9 Septembre 2005, 19:57.