Parmi les fous : Chapitre 11 : Pardon
Lily avait fui à toutes jambes le lieu du meurtre de Kyokun, elle entendait encore dans son esprit la voix du clown, ses intonations étranges, son rire torturé et grinçant, sa silhouette décharnée dansait devant ces yeux, fantôme cauchemardesque, vision alarmante et terrible. Elle regrettait d’être arrivé si tard, d’avoir assisté impuissante à cette scène macabre, simple spectatrice d’un crime qu’elle aurait pu empêcher. Si seulement elle été allée plus vite, elle aurait arrêté le bras fou d’Errian, elle aurait protégé Kyokun, personne ne serait mort, personne, la logique implacable de ce monde aurait chancelé pour la première fois. La vieille horloge sonna dix-neuf heures. Le soir tombait à Fafys, mais en bas rien ne changea, chaque jour ressemblait au précédent, chaque instant identique à celui d'avant, copie conforme du suivant, enfermé entre les parois de pierre de leur immense prison, les habitants des bas fonds répétaient inlassablement les mêmes gestes, reproduisant à l’infini le même cercle vicieux qui les entraînait au plus profond de la tourmente, dans un univers de plus en plus terrible. Poursuivant sa course, Lily entendit planer au dessus d’elle une nuée de corbeaux qui s ‘éloignèrent rapidement vers la ruelle où se trouvait Kyokun , nuage noir, annonciateur de malheur et de mort. La fillette, à bout de souffle, s’arrêta. Elle n’avait rien avalé depuis la mort de Kaïn, la veille au matin, doucement elle sentait ses forces décliner. Elle tenta de se repérer, mais elle n’était jamais allée dans cette partie de la ville. Elle était perdue. Il y avait un cimetière, un vieux cimetière à l’air triste et abandonné, elle s’approcha et franchit la grille rouillée qui sortait en partie de ses gonds et menaçait de s’effondrer. Les allées étaient à peine visible, les tombes n’avaient pas été entretenues depuis longtemps, quelques herbes folles avait poussé ci et là, envahissant les pierres fissurés, des ossements jonchaient le sol, sûrement déterrés par les corbeaux un jour de disette. Lily sursauta lorsqu’elle entendit une faible plainte venir de sa gauche, se dirigeant dans cette direction, elle aperçut une silhouette recroquevillée sur elle même, accroupie à terre, dodelinant de la tête. La petite fille s’avança sans bruit jusqu’à l’homme, mince, horriblement pâle, le visage émacié. D’immenses cernes soulignaient ses yeux rouges, il rongeait ses ongles avec une telle ardeur que du sang coulait de ses doigts, tachant sa figure et ses vêtements. Il parut ne pas remarquer Lily, gémissant toujours, la tombe devant laquelle il pleurait portait une inscription que la fillette déchiffra avec peine : " Alice ( 3001-3017 ), qui rendit ce pays merveilleux " . N’osant rompre le silence, elle continua d’observer l’homme, il était effrayant de part son allure et son air, mais cela ne la fit pas fuir cette fois, elle ne connaissait que trop bien les effets désastreux que pouvait avoir le dégoût sur les personnes d’en bas, elle acceptait ce qui se présentait sous se yeux, sans ciller, ni détourner le regard. Rassemblant son courage, elle prit la parole : " Excusez moi, je … je m’appelle Lily, je suis perdue … Pouvez vous m’aider, s’il vous plaît ? " Aucune réponse n’émana de l’inconnu, il demeura impassible devant sa présence, comme sourd, de plus en plus mal à l’aise, la petite fille poursuivit : " Qui êtes vous ? Je suis perdue … Qui … Qui est Alice ? " A l’évocation de ce nom, il tourna brusquement la tête et la fixa intensément, il semblait enfin la voir, un instant passa et il répondit enfin, d’une voix faible et cassée : " Alice … oui, je me souviens … c’était il y a cinq ans … si belle … elle avait seize ans et je l’aimais … si belle … " Il replongea au plus profond de ses pensées, Lily, figée, était incapable d’articuler ne serait ce qu’un mot, elle attendit en silence que l’homme poursuive son récit, quelques minutes s’écoulèrent, sans un bruit, puis sans raison apparentent, l’inconnu continua : " Je me nomme Aleist, je … Alice, … elle avait seize ans, je l’aimais, … Je voulais le lui dire, lui avouer cet amour, … une déclaration … merveilleux … je l’ai tuée … je l’ai tuée car elle a ri, il y en avait un autre, un meilleur, c’était terrible, terriblement beau, mon couteau pénétrant sa chair, son sang s’écoulant sur sa jolie peau blanche, ce cri étranglé qu’elle a eu pour me dire adieu, ses yeux dont le regard devient de plus en plus fou, son esprit qui s’en va, que je ne peux rattraper … pourquoi ? … Elle s’est éloignée, elle est partie ... " Sa voix se brisa, se cachant le visage entre les mains, il pleura de plus belle, sa détresse semblait infinie, il était comme un enfant demandant pardon, qui perd la raison à force de remords. Sanglotant, il murmura : " Alice… reviens… je t’aime … je t’en prie… je t’aime … je suis désolé. " Lily resta immobile, animée par des sentiments contradictoires, elle hésitait, la haine ou la pitié, le pardon ou la rancune, coupable ou innocent, fou ou meurtrier ? Sa raison semblait l’emporter condamnant l’homme, le jugeant de criminel, mais soudain son cœur d’enfant se mit à parler, il ne dit presque rien, seulement quelques mots sans importance " il y a un cœur, dans cette poitrine, qui bat, comme le tien… souviens toi … ", souriant tristement, elle fit quelques pas pour n’être plus qu’à quelques centimètres d’Aleist qui la sentant si proche de lui trembla et releva timidement les yeux, la douceur qu’il lut dans le regard de Lily le surprit, la main qu’elle lui tendit ensuite lui parut irréelle, mais lorsqu’il la saisit, ses doigts ne se refermèrent pas sur le vide. Décontenancé, il se leva, et comme dans un rêve, guidé par la petite fille, d’une démarche lente mais emplie de confiance, il quitta le cimetière pour la première fois depuis cinq longues années.
Ecrit par parasitemort, le Jeudi 25 Août 2005, 13:20 dans la rubrique "Parmi les fous".
Commentaires
chrysalide06
25-08-05 à 15:12
C'est très beau ce que tu as écrit, vraiment...
Ton esprit n'a pas l'air si dérangé que ça ;o)
Chrysalide
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Re:
parasitemort
25-08-05 à 15:29
^^ on verra, on verra, mon esprit.... en tous cas bon, je vais continuer et merci pour ce tit commentaire.
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