Sous la pluie
Il y a un jeune homme, debout sous la pluie, qui attend. Il est au pied d’un immeuble gris, au beau milieu d’une rue anonyme en plein centre de Paris. Il attend. Les minutes passent, et malgré lui le doute s’immisce, va-t-elle venir ? Il le lui a demandé hier, elle est si belle, il sait qu’il ne la mérite pas, mais il se permet d’espérer, doucement, il rêve, il pense à la courbe fluide de ses hanches, à la fermeté de sa poitrine, à son regard malicieux et si envoûtant. Mais le temps continue de s’enfuir, elle ne vient pas, que fait-elle ? Aurait-elle oublié ? Il se tord les mains en tous sens, tremble d’impatience et de peur, il reste figé, observant la fenêtre sans lumière de l’appartement où elle habite. Il a sonné à l’interphone, mais personne ne répond, pourtant elle est là, il en est sûr, elle a promis. Une heure déjà s’est écoulée, mais il n’a pas bougé, de plus en plus paniqué, il scrute toujours avec la même ardeur au troisième étage. Soudain, la lumière s’allume, il se redresse et observe attentivement sans un bruit, retenant son souffle, comme si le moindre son la ferait disparaître de nouveau. Il n’y a plus personne dans la rue, il est déjà presque minuit, il est trempé, peu importe, elle va descendre.
Enfin, il l’aperçoit, toujours aussi lumineuse, elle sourit, avance d’un pas tranquille vers la porte de sortie, se retourne, et embrasse le bel homme situé à ses côtés, un long baiser empli de tendresse et de douceur. Dans les profondeurs de la nuit un cœur se brise, cela ne s’entend pas, cela ne se voit pas, mais cela fait mal, horriblement mal, il a l’impression que sa tête va exploser, qu’il va devenir fou, sa vue se brouille, les larmes coulent le long de ses joues, il pleure cet amour qu’il n’a jamais connu, qui le repousse et qui n’a que faire de lui, il la regarde, elle rit, se moque de lui, de sa faiblesse, de sa crédulité. Alors la colère s’empare de tout son être, il ne voit plus que le sourire mesquin de cette femme, la main de l’autre posée sur son épaule, il sort de sa poche ce petit revolver que lui a offert son père pour ces seize ans, il l’arme et sans réfléchir il appuie sur la détente. Les deux amants sont surpris en plein vol, ils tombent à terre ensemble, presque l’un sur l’autre. Lui, son visage est déformé par la stupeur, une balle l’a atteint au milieu du front, elle, toujours aussi belle, a été touchée à trois reprise, en pleine poitrine, l’incompréhension se lit dans ses yeux, elle n’a pas eu le temps de comprendre, elle ne l’a pas reconnu. Il range son arme, recommence à respirer doucement.
Il pleut toujours sur la triste ville de Paris, il y a toujours cet homme, debout, mais il n’attend plus, son cœur bat à toute vitesse, il a si mal, il souffre tant, il l’a tuée alors qu’il l’aimait, elle n’a pas voulu de lui, elle n’est pas venue, il n’a jamais pu s’approcher d’elle, et même là, dans la mort, elle reste si belle, si merveilleuse, alors que lui, il demeure là misérable, trempé jusqu’aux os. La douleur dans sa poitrine ne s’estompe pas, au contraire, elle l ‘assaille de plus en plus fort, le détruit, il entend sa voix rieuse et chantante, revoit ses yeux gris si profond dans lesquels il aurait adoré se perdre, il sent encore son odeur, enivrante, comme une caresse. La tête lui tourne, il regarde autour de lui, toujours pleurant, personne, il pourrait s’enfuir, faire comme si de rien n’était, mais elle n’est plus là, il l’a tuée…
Les minutes s’écoulent, implacablement, peu à peu il se calme, retrouve sa lucidité, et dans un dernier élan de courage, il lève son revolver une nouvelle fois, le place sur sa tempe, et tremblant, il tire et s’effondre. Tout a changé, pourtant, même s’il n’y a plus d’homme debout, de rue paisible aux abords d’un immeuble ordinaire, la pluie tombe toujours, sur Paris, ville en deuil, ville qui pleure en silence ses disparus.
Ecrit par parasitemort, le Vendredi 15 Juillet 2005, 17:21 dans la rubrique "Drame".