Parmi les fous : chapitre 6 : Errian
--> la suite que j'ai enfin réussi à récupérer... laissez vos commentaires...
Il faisait sombre dans la salle principale de la taverne, le comptoir bancal et crasseux était encombré de verres à demi emplis d’alcool et de bouteilles, aux tables ce n’étaient que jeux de hasard douteux, beuveries d’ivrognes, des prostituées circulant de ci de là, espérant trouver un client. Le sol était jonché de détritus, un chien miteux rongeait les restes d’un os, blotti dans un coin, des toiles d’araignées étaient visibles sur les murs et les deux fenêtres encadrant la porte, gros battant de bois, s’ouvrant en grinçant à chaque entrée ou sortie.
Lily se tenait au milieu de tous ces gens à demi ivres, qui parlaient et criaient, s’interpellant avec agressivité, échangeant parfois des insultes ou des coups. Elle s’approcha du bar et s’adressa au tavernier d’une voix faible et hésitante lui demandant s’il savait où elle pouvait trouver celui qu’on appelait Errian . A l’évocation de ce nom, l’homme pâlit, il était d’une taille immense, les épaules larges et imposantes, le visage dur, chauve, il possédait de grands yeux si clairs qu’ils paraissaient presque blancs. Il regarda autour de lui, puis dans un murmure sourd il fit :
« Errian, il vaut mieux l’éviter, mais si tu y tiens, il est dans la salle à côté, là… »
Il leva la main pour indiquer une petite ouverture dans le mur de gauche, à moitié cachée par une tenture noire, Lily frissonna, la main du tavernier était presque dépourvue de chair, on voyait les os à travers les lambeaux de peau qui restaient, lui donnant l’air d’un squelette. Se rendant compte de la réaction de la petite fille il grogna et la fixa d’un mauvais air. Elle s’éloigna à reculons et heurta une table, faisant voler les cartes qu’un homme tenait. Celui-ci se leva en hurlant mais alors qu’il s’apprêtait à la gifler une femme s’interposa et il renonça apparemment effrayé et intimidé. Elle se retourna vers Lily, c’était la prostituée qu’elle avait bousculé sur l’avenue quelques jours auparavant, elle lui prit fermement la main et l’emmena avec elle vers la pièce où devait se trouver Errian.
Elles pénétrèrent ensemble, là il y avait une dizaine d’hommes étendus sur des coussins ou de vieux fauteuils défoncés, tous étaient saouls, une bouteille d’alcool dans la main, certain fumaient ce qui semblait être de l’opium, d’autres dormaient ou se reposaient dans les bras de prostituées. La jeune femme s’arrêta et s’éclaircit la voix, puis doucement elle murmura :
« Errian … c’est moi, une gamine te recherche, elle veut te parler. »
Un des hommes se redressa, repoussant la fille qui était allongée à ses côtés, il était étrangement beau dans ce monde de laideur, brun, les cheveux en batailles, mi-longs, les traits fins, ses yeux verts relevaient la pâleur élégante et mystérieuse de son visage. On ne lui donnait pas trente ans. Il soupira puis avec un soupçon d’énervement dans le ton de sa voix il répondit :
« Et alors ? Elle veut quoi, apprendre à vivre ? J’ai toutes les femmes que je veux ici, pourquoi tu me l’as amenée ?
- Je ne sais pas, elle est différente, quand je l’ai vue, j’ai eu l’impression qu’elle pouvait comprendre, qu’elle nous aiderait... »
Il éclata de rire, un rire moqueur et mauvais, puis se reprenant, il lâcha :
« Comme c’est merveilleux, elle voit la colombe qui est en toi, et non le monstre défiguré que tu es ! »
- Errian …
- Tais toi Rose, tu penses peut être que je vais être gentil avec toi, parce que tu me ramènes cette môme ? Tu veux que j’en fasse ma fille et que nous l’élevions ensemble, pauvre conne, pour qui tu te prends bordel ?! »
Il se mit debout et leva la main sur elle, il la frappa, elle tomba à terre, s’effondrant sans une plainte, elle tenta de se redresser mais il l’en empêcha avec un coup de pied qu’il lui asséna dans les côtes. Elle se mit à sangloter, ivre de douleur et de tristesse, il lui cria de se taire, tenta de la gifler mais Lily retint son bras. Il se retourna brusquement, la fixa, elle soutint son regard puis dit avec un calme étrange :
« De tous ces gens que vous trouvez hideux, vous êtes le plus horrible, et vous le savez, mais vous ne pouvez rien y faire, alors vous les rendez aussi laids que vous, mais jamais ils n’arriveront à descendre aussi bas, c’est pour ça que vous les détestez.»
L’homme se figea, resta immobile durant plusieurs minutes, un long moment qui parut durer des heures. Personne ne soufflait mot ni n’esquissait le moindre geste, Rose le regardait avec un regard doux et triste, La petite fille continuait de l’observer, impassible et muette. Il ferma les yeux un instant, puis se ressaisissant brusquement, partit d’un pas rapide, s’enfuyant presque. Le silence tint encore quelques temps puis d’un coup les discussions reprirent comme si de rien n’était, tout le monde se remit à boire et la vile débauche dans laquelle ils aimaient tant se prélasser reprit.
La prostituée reprit la main de Lily et la conduisit à l’extérieur, lorsqu’elles furent dehors dans le froid mordant de la rue, elles s’arrêtèrent. Rose n’osait pas regarder la fillette en face, elle se tordait les doigts en tous sens, cherchant à savoir de quelle manière lui expliquer toute l’histoire, ce qui avait rendu Errian tel qu’il était maintenant. Elle fondit en larmes et s’assit sur le rebord du trottoir, essayant vainement de commencer des phrases sans queue ni tête. Elle était si misérable dans sa robe déchirée qui partait en lambeaux, le visage défiguré par cette terrible cicatrice qui lui barrait l’œil gauche, si l’on faisait abstraction de cela, on pouvait néanmoins remarquer que ses traits étaient élégants et réguliers, ses lèvres sensuelles semblaient pleines de promesses, même sa démarche dégageait une certaine noblesse.
Mais noblesse ou pas, elle était contrainte d’être une vulgaire prostituée, considérée comme un objet de fantasmes et de plaisir, vendant son corps comme tant d’autres femmes, n’ayant pas le choix, survivant à peine, victime de la folie environnante qui l’étouffait et la prenait à la gorge tel un mal invisible pourtant bien présent. Elle luttait contre ce mal, combattant chaque jour pour essayer de préserver le peu de raison qui lui restait, même si l’humanité avait quitté son visage, qu‘elle avait l’aspect de tous ces monstres sanguinolents, elle voulait encore croire qu’elle n’était pas comme eux, pas totalement, et qu’un jour viendrait où tout redeviendrait comme avant, où il la regarderait à nouveau dans les yeux, malgré sa laideur et où il l’aimerait de nouveau…
Elle avait envie de tout oublier, de mourir enfin, de s’abandonner au plus profond d’un gouffre infini, l’éternité pour se reposer, ne plus sentir l’odeur des cadavres, ne plus voir la misère autour d’elle, oublier, oublier cette promesse faite en décembre, un soir, cette promesse qu’elle entend encore dans sa tête et qui la retient ici, comme suspendue à un fil qui menace de se rompre et qui pourtant ne cède pas, faible mais invincible.
Ecrit par parasitemort, le Lundi 25 Juillet 2005, 12:10 dans la rubrique "Parmi les fous".
Commentaires
tilt
30-07-05 à 18:02
j'attends la suite avec impatience
tu es douée, le sujet, le décor etc .. sont très bien trouvés, ça change, c'est quelque chose de nouveau, un recoin inexploré que tu tapisse de tes mots.
j'apprécie aussi beaucoup ton vocabulaire, tu ne tombes jamais dans le discours familier. ton texte est beau et "noble" (pas trouvé d'autres mots, désolé) de par ce vocabulaire enrichi. Tes tournures de phrases sont aussi très jolies.
Tu écris bien, tu as quelque chose! et j'ai hâte de pouvoir lire la suite
Bonne continuation
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Re:
parasitemort
11-08-05 à 20:11
merci beaicoup, tu ne peux pas savoir comme j'aime lire ce genre de commentaire, j'ai pas écrit une ligne depuis deux semaines et là je me dis : en avant ! merci encore, je ferai de mon mieux.
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