Parmi les fous : chapitre 3 : elle s'appelait Iris
Les bas fonds étaient bien plus vastes qu’ils ne le paraissaient à première vue, la ville s’étendait sur des dizaines de kilomètres, et il était difficile de différencier un quartier d’un autre tant ils se ressemblaient tous par la misère qui y régnait en permanence. Lily longeait le fleuve qui traversait la ville de part en part, elle ignorait totalement où se trouvait la taverne qu’elle cherchait, et craignait de le demander à un des passants qui se trouvait près d’elle, errant sans but, l’esprit dévoré par la folie qui hantait ce lieu.
Un homme était assis au bord de l’eau, fixant un des détritus qui flottait à la surface, c’était une poussette, rose sale, déchirée, à laquelle il manquait un roue. Pourtant il la regardait comme si c’était un véritable trésor, Lily s’approcha doucement de lui, intriguée, elle détailla l’homme. Il était grand, les cheveux blonds à mi hauteur, mal rasé, il devait avoir une quarantaine d’année à en juger par les traits de son visage, Comme beaucoup de personnes ici, il aurait pu être beau, seulement son nez avait été à moitié arraché, ses yeux étaient injectés de sang, il ressemblait presque à un cadavre. Surmontant le dégoût qu’il lui inspirait, la petite fille demanda doucement :
« Qu’est ce que vous regardez, monsieur ? »
Il ne répondit pas immédiatement, puis après quelques secondes, il murmura sans détourner les yeux de la poussette :
« Ma petite Iris, elle était si mignonne, si gentille, je me serai occupé d’elle toute ma vie pour qu‘elle aille bien, je serais mort pour elle, je, je… »
Sa voix se brisa, et il éclata en sanglots, se cachant le visage dans ses mains. Puis se calmant un peu, entre deux pleurs, il continua :
« Elle est tombée, je la promenais dans sa poussette, on en avais trouvé une finalement, elle n’était pas très belle, mais elle tenait debout, et Iris dormait paisiblement dedans, à poings fermés, on aurait cru voir un ange,… mais maintenant, elle n’est plus là, …. Je me souviens, on était là, et il est arrivé, il m’a bousculé, je suis tombé, la poussette est partie, je n’ai pas pu la rattraper, elle est partie, j’étais par terre, je n’ai pas pu… »
Il s’arrêta, puis repris d’un voix funèbre :
« Elle est tombée dans l’eau, la poussette a coulé, je ne sais pas nager, je n’ai pas pu… »
Il se tut et demeura la tête baissée, pleurant toujours, il ressemblait à un enfant, désemparé, abandonné, sans repère, tout ce qui lui arrivait semblait incontrôlable , il n’était pas capable de raisonner, une seule chose comptait à ses yeux et lui torturait l’esprit, la perte de sa fille, rien d’autre n’existait à part cela, pas même sa femme, morte de chagrin, deux ans après Iris. Il ne l’avait pas vue, pour lui, tout ce qu’il possédait de cher au monde avait disparu dans le fleuve. Lily posa sa main sur son épaule, puis émue, s’agenouilla auprès de lui et le prit dans ses bras, comme une mère ferait pour rassurer son enfant, elle chantonna une vieille berceuse que son père lui avait apprise, puis lorsque l’homme cessa de pleurer, elle essuya les dernières larmes qui roulaient sur ses joues et l’embrassa sur le front avec une infinie douceur. L’homme la regarda, sans voix, il murmura :
« Tu … tu ressembles à ma petite Iris, elle était si mignonne, tu as les mêmes yeux. Avant je croyais qu’elle reviendrait, mais elle ne reviendra pas, merci… tu… tu me donnes le courage… le courage. Avant j’avais une femme aussi, je me souviens, elle s’appelait Marie, elle était si belle,… Où est-elle ? … Je ne l’ai pas vue partir, elle est morte, et je ne l’ai pas vue… elle est morte. Merci ma petite, je ne sais pas comment tu t’appelles et je ne saurais jamais… tu me donnes le courage,… de faire…de ne plus avoir peur…, adieu, … je quitte le monde des fous. »
Il se leva, se tourna vers le fleuve, regarda une dernière fois Lily, sourit, apaisé, il fit un pas en avant, sauta et l’eau boueuse l’engloutit, il disparut à jamais, un anonyme parmis la masse, personne ne se soucierait de sa mort, exceptée Lily. Elle resta silencieuse et immobile, incapable de faire un geste, figée. Elle n’avait pas pu l’empêcher de sauter, elle n’avait pas su le retenir.
Deux heures passèrent sans qu’elle esquisse le moindre mouvement, mais l’épuisement eu raison d’elle, elle se coucha par terre et s’endormit, d’un sommeil étrange, peuplé de mauvais rêves.
- Maman, tu vas bien ? Tu es tombée par terre tout à l’heure, j’ai eu très peur, tu vas bien ?
- Oh, ma puce, comme tu es jolie, je suis contente de te voir, comment va ton père ?
- Mais … maman, … papa … papa est mort il y a deux ans, tu ne te souviens pas ?
- Dis lui de faire attention à lui, en automne, il arrive que des brigands courent les rues… tu lui diras n’est ce pas ?
- …
- Il doit faire attention à lui, et toi aussi ma chérie.
- Ils m’ont obligée à retourner en bas, ils ont dit que si je ne le faisais pas, ils te feraient du mal…
- C’est bien ma puce, c’est bien, ils ont raison, ils sont si gentils avec nous, tu dois être bien sage, d’accord, pas de bêtise, hein ?
- Maman…
Lily ne sait pas quoi dire, les mots ne viennent pas, elle ne comprend pas pourquoi sa mère ne l’écoute pas, il lui semble qu’elle ne comprend pas, que la lumière qui brillait autrefois dans ses yeux s’est éteinte. Tout se bouscule dans son esprit « Maman, je t’aime… ne m’abandonne pas s’il te plais, tu avais promis... ». Elle pleure sans bruit, sa mère se rendort.
Ecrit par parasitemort, le Mercredi 20 Juillet 2005, 18:58 dans la rubrique "Parmi les fous".