Parmi les fous : Chapitre 1 : la chute
La descente parut durer une éternité, le silence était parfois interrompu par un rire hystérique venu de nulle part, ou des pleurs déchirants implorant pardon, Lily se bouchait les oreilles pour ne pas les entendre, rester protégée quelques instants encore de la folie qui vivait en ce lieu, quelques secondes de repos et de calme avant de plonger dans les ténèbres brumeuses de ce monde torturé. Ses souvenirs les plus douloureux revenaient à son esprit, lui criant ses échecs, lui hurlant ses fautes, la torturant de milles phrases et images accablantes, la petite fille ferma les yeux, elle espérait que les voix dans sa tête disparaissent dans l’obscurité qu’elle se fabriquait ainsi, mais à quoi bon car le néant dans lequel elle se trouvait en ce moment même n’éloignait pas les mauvais esprits, alors pourquoi cette fausse nuit le pourrait ?
D’un coup, les voix se turent, Lily ouvrit timidement les yeux, encore sous le choc et regarda autour d’elle. Elle était dans une ruelle étroite et sombre, jonchée de détritus, un mendiant aveugle et ricanant était assis par terre à quelques mètres, répétant inlassablement la même phrase : « Pitié, pitié, pour le plus malheureux des fous » . Il tendait devant lui un gobelet en plastique, totalement vide. La misère régnait en bas, les habitants vivaient dans la famine depuis toujours, ils se montraient haineux et méfiants les uns envers les autres, il n y avait rien à donner à un pauvre clochard, tout était gardé précieusement par celui qui le trouvait. Une odeur nauséabonde flottait dans les airs, la puanteur des cadavres mêlée à celle des égouts de Fafys qui se déversaient dans le fleuve traversant les bas fonds rendait l’air irrespirable. Lily releva la tête, à un trentaine de mètres au dessus, on voyait la Paroi de pierre, frontière infranchissable entre le monde réel et celui ci, le monde souterrain. Cet endroit avait été créé il y a plus de cinq cent ans, lorsque la guerre civile faisait rage et que les maîtres décidèrent de bannir tous les rebelles et fauteurs de troubles. On les envoya ici, dans ce lieu hostile et sans lumière, et ils devinrent tous fous, sans exception. Il n’y avait aucun moyen de sortir, hormis le passage qu’empruntait Lily, mais l’ouverture était commandée depuis là haut, et fonctionnait grâce à une science étrange que personne ici bas n’était capable de comprendre.
La fillette marcha le long de la ruelle et déboucha dans une grande avenue où des passants de toutes sortes se pressaient, allant dans un sens ou dans un autre fuyant vers un avenir qu’ils ne possédaient pas, qui ne leur offrait rien d’autre que le malheur et le désespoir. Elle prit quelques secondes pour se repérer et réfléchir afin de savoir de quel côté aller, une jeune femme la bouscula. Elle était à moitié dévêtue, vulgairement maquillée, la lassitude se lisait sur les traits de son visage, grande, la silhouette élégante, elle aurait pu être belle si elle n’était pas borgne, c’était une prostituée. Lily frissonna en la voyant, elle recula de quelques pas et continua bien vite sa route, prenant une direction au hasard. La femme resta sans bouger, la regardant s’éloigner jusqu’à ce qu’elle disparaisse de sa vue, fixement, sans ciller, une larme brillant dans son œil gris. Un homme s’approcha d’elle, lui fourra un billet dans les mains et l’emmena avec lui, dans un des hôtels glauques du quartier à moins qu’il ne prenne pas cette peine et se contente d’une ruelle à l’écart pour assouvir sa soif de plaisirs et oublier pendant quelques minutes la misère omniprésente de ce lieu.
Lily avançait toujours, essayant de ne pas voir les gens tout autour, mais une altercation éclata juste devant elle entre un homme de grande taille, barbu, armé d’un gourdin et un autre, plus trapu, musclé comme un taureau, avec un bâton dans la main gauche. Ils s’insultèrent brièvement, le premier accusant le second de lui avoir volé un talisman qu’il avait gagné aux jeux. L’autre ne répondit pas et se jeta violemment sur son ennemi, qui para l’attaque sans difficulté et asséna un coup puissant dans la crâne de son adversaire, qui tomba mort. Le sang éclaboussa l’assemblée et des gouttes giclèrent sur le visage de Lily qui s’enfuit en courant, pleurant de peur et d’impuissance devant ces horreurs. Elle s’arrêta hors d’haleine, après plusieurs minutes de course, totalement perdue, dans une impasse sombre et déserte, son visage était ruisselant de larmes, elle tomba par terre, évanouie.
Ecrit par parasitemort, le Samedi 16 Juillet 2005, 16:20 dans la rubrique "Parmi les fous".