Dream, always dream....
J'entre dans la petite salle à la lumière douce et paisible. Le serveur me salue avec un sourire chaleureux et s'empresse de demander des nouvelles de ma santé et de mon quotidien. Je lui réponds brèvement, impatiente de commencer à jouer.
Je m'assied sur un siège au fond de la pièce, des tables sont disposées à intervalles réguliers, nappées d'un beau tissu rouge bordeau, les chaises sont faites d'un bois noir profond, l'ensemble exhale une impression de calme et de solennité.
Mes doigts effleurent le goban posé sur la table, je suis les lignes tracées dessus avec affection, comme on ferait avec un ami que l'on retrouve après une trop longue absence. Bientôt, un adversaire vient me défier, il prend place en face de moi et me fixe de ses yeux fins et intelligents. Nous faisons nigiri, il prend finalement les noirs et moi les blancs.
Commence alors une longue partie, réfléchie, aux chemins étroits et sinueux, il m'arrive parfois de réfléchir plus d'un quart d'heure pour poser une pierre. Les formes s'enchaînent sur le goban, se croisent, se rencontrent, s'afrontent les unes les autres. Au cent cinquantième coup, le gagnant n'est toujours pas déterminé, ce qui s'annonçait comme étant une simple bataille de moyo est devenu un immense combat.
Nous respirons à peine, le regard rivé sur le plateau, tous les sens en alertes. Je peux tuer son immense groupe du bord droit l'espoir m'envahit, je pose la pierre avec précaution. Mon ennemi se fige soudainement. Il se frotte le menton et commence à lire les séquences. Les minutes s'égrènent dans un silence parfait, dérangé par le bruit régulier des parties alentours. Finalement, il se saisit d'un noir et le place en tsuke.
Je ne m'attendais pas à cela. C'est à mon tour d'être stupéfaite et de tenter de deviner la suite. Le meilleur que je puisse entrevoir pour moi est un kô, un dilemme entre vie et mort, un nouveau duel dont le gagnant semble incertain.
Les menaces et leurs réponses se succèdent, les muscles tendus, l'air concentré à l'extrème. Mais vite, je suis à court, je ne trouve plus rien qui puisse lui faire peur, aucune pression à exercer sur ses groupes. Je perds le kô. Le poing serré je baisse la tête, une voix en moi me murmure de laisser tomber, de concéder la victoire à mon adversaire. J'admire une dernière fois notre partie, la chaîne noire est si solide, aucune faille... Mais... Un sourire naît sur mes lèvres, j'aperçois enfin ce que je cherche depuis le début.
La pierre dans ma main est froide et lisse, je la caresse du bout des doigts avec un sentiment d'exultation. Je la dépose enfin sur le goban. L'homme en face de moi fronce les sourcils, il demeure à réfléchir durant de longues minutes puis joue à son tour. Je réponds aussitôt sans hésiter, mon ennemi marque une nouvelle pause, ses yeux parcourent le chemin tracé par nos coups successifs en tous sens, comme cherchant une échappatoire, il semble dépassé par les évènements, il tremble de nervosité.
Brusquement, son air se radoucit et, avec un sourire un peu triste, il pose deux pierres sur le plateau de bois. Il abandonne. Nous nous remercions sobrement pour cette partie mémorable puis je me lève de ma chaise, salue le serveur d'un signe de la main et quitte le café.
Les rues de Séoul sont bondées à cette heure si de la journée, le soleil se couche déjà. Je m'empresse de rentrer, chez moi, les copies de mes élèvent attendent.
Ecrit par parasitemort, le Mercredi 14 Septembre 2005, 14:10 dans la rubrique "Rêve éveillé, vie en Corée...".
Commentaires
alberto
14-09-05 à 16:39
Peu importe le jeu (connais pas), je trouve que c'est bien (très bien). Tu es simplement douée (et même très) pour l'écriture.
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Re:
parasitemort
14-09-05 à 16:41
merci :), le jeu est expliqué en bref dans la rubrique culture l'article sur le go !
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Re: Re:
lucileCrocodile
06-11-05 à 13:13
Tu connais l'équivalent de Nigiri, tsuke et ko en Corée ? J'me pose souvent la question. Et en chinois...c'est vrai que le go français est quand meme dominé par les regles et le vocabuliare Japonais..
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Re: Re: Re:
parasitemort
06-11-05 à 16:56
non, je ne les connais pas, ce doit être une lacune... je m'en occuperai plus tard. :-)
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